LES SEIZE « CAPITOLI » DE LA CONSTITUTION
D’ALESANI DU 15 AVRIL 1736

Une conférence de : CLAUDE OLIVESI,
Maître de Conférences en Sciences Politiques,
Habilité à diriger les recherches,
Université de Corse.
ADECEC CERVIONI 1997

En octobre 1729, à la suite de mauvaises récoltes et devant la volonté de la Sérénissime République de mener une politique fiscale répressive, le mécontentement des populations augmente. Des troubles éclatent dans la pieve du Boziu.

Ce que les historiens ont appelé « la guerre de quarante ans » venait de débuter. Elle se terminera le 8 mai 1769, avec la défaite de Ponte Novu et la « pacification française ».

S’il n’est pas de mon propos dans le cadre de cette intervention d’en refaire la chronologie, le détour historique semble cependant indispensable pour tenter de comprendre « l’étrange événement » qui surviendra en 1736.

On peut décomposer ces quarante années de guerre en deux périodes distinctes. « Véritable mouvement de décolonisation, le premier des temps modernes » selon la formule utilisée par Dorothy CARRINGTON dans une conférence qu’elle prononcera à Cervioni le 1er avril 1989 (1)

L’américain PALMER et le français GODECHOT dans leur explication de la chaîne des révolutions atlantiques mentionnent divers soulèvement considérés comme importants : ceux de Genève (1765-1768), la révolution américaine (1770-1787), celles d’Irlande et d’Angleterre (1780-1783), celles de Suède (1772-1789), des Provinces Unies (1783-1787), de Pologne (1788-1794). Mais ces auteurs ignorent la Corse.

 

La deuxième période (1755-1769):

Elle commence avec l’élection, en 1755, de Pascal PAOLI « Général de la Nation ». Elle durera 14 ans. La Corse fut érigée en un Etat souverain, doté d’une constitution écrite : celle du 18 novembre 1755, révisée en 1758, 1762 et 1765 sans que l’économie générale en soit profondément modifiée.

Plus personne aujourd’hui ne conteste ni la qualification, ni même les efforts déployés, dans le texte, pour instaurer un « régime » s’inspirant des idéaux de la philosophie des lumières.

Des constitutionnalistes comme Charles CADOUX ou encore Didier LINOTTE la considèrent comme la première Constitution des temps modernes.

« Sauf à contester (pourquoi ?), sa nature de véritable loi fondamentale, c’est la constitution promulguée par Pascal PAOLI pour l’éphémère Etat indépendant corse qui serait historiquement, le premier exemple de constitution totalement écrite » (2).

Ou encore « On fait généralement remonter aux premières constitutions américaines de 1777, l’apparition des constitutions écrites dans le monde occidental moderne. C’est semble-t-il oublier trop fréquemment de mentionner l’intéressante Constitution corse du 18 novembre 1755 (…) On doit en définitive considérer que la Corse (…) a offert à l’Europe la première constitution écrite moderne, vingt ou trente ans avant les constitutions américaines » (3).

 

Pourquoi ce saut et ce détour historique ?

Pour situer « l’intermède théodorien » dans son siècle et préciser le concept de Constitution qui nous servira à apprécier le « pacte conventionnel » par lequel fut placée la couronne de Corse sur la tête d’un baron westphalien venu du nord.

Par Constitution la doctrine entend un document écrit, ou ensemble de textes, adoptés solennellement. Son contenu s’efforce de préciser les modalités d’exercice du pouvoir, sa dévolution au sein de l’Etat et un ensemble d’institutions séparées exerçant chacune une fonction spécialisée.

Il s’agit pour faire plus simple d’une institutionnalisation de l’exercice du pouvoir, garantie contre l’arbitraire ; ce processus est considéré comme un progrès.

La définition largement admise est contenue dans l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 lequel précise :

« toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminées n’a point de constitution ».

C’est parce que le texte de 1755, s’approche de cette volonté de rationalisation de l’exercice du pouvoir, et d’établissement de règles connues qu’elle est considérée comme première de la lignée des constitutions modernes.

Cette période enregistre, en définitive, les maturations de vingt-six années précédentes.

 

La première période (1729-1755) :

Lorsque à la « Consulta » d’Orezza, le 8 janvier 1735, le mouvement se donne des structures qui préfiguraient celle d’un futur Etat national, une importante étape est franchie.

Ce que l’on a appelé la « Constitution d’Orezza » confie le pouvoir à un triumvirat composé de Giafferi, Paoli, et Ceccaldi, primats du « REGNO » avec titre d’excellence. Elle instaure une junte de 12 membres, établit des « uffizii », sorte de commission aux fonctions spécialisées (guerre, monnaie etc…)

Sur le plan des symboles le « royaume de Corse » est placé sous la protection de la Vierge Marie, Immaculée Conception, et le « Dio Vi Salvi Regina » devient par adjonction d’une strophe belliqueuse un hymne national.

Ce n’est point encore la proclamation de l’indépendance mais c’est déjà un ensemble qui se veut institutionnel. Cet édifice, l’abbé Germanes, « tient à la fois du monarchique et du républicain ». L’avocat Sébastiani Costa, rentré de Livourne, en s’inspirant du modèle génois en est l’ordonnateur.

Cependant, les succès des nationaux sont sans lendemain décisif. Ils se trouvent fin 1735 début 1736 dans une situation des plus difficile.

Le contexte international a changé et avec lui les espoirs d’une interventions espagnole se sont évanouis. Le 13 octobre sont signés les préliminaires de Vienne qui mettent fin à la guerre de successions de Pologne sur la base d’un équilibre austro-espagnol en Italie. La Cour d’Espagne se détourne des affaires de Corse. Ses émissaires qui plaidaient la cause corse depuis mai 1733 retournent dans l’île désespérés. Le Chanoine Orticoni y fit des voyages diplomatiques en 1734 et 1735 ; Ceccaldi s’y établira avec le grade de colonel.

De plus l’aide de la diaspora se raréfie. Nombreux témoignages de contemporains et d’historiens présentent cette période comme celle d’une grande pénurie aggravée par le blocus de l’île qu’organise Gênes. Le « Mémorial des corses » (4), sous la plume de Fernand ETTORI tout en soulignant l’enlisement de la rébellion, met aussi en exergue les divisions intestines, plaies de la Corse, qui affectent les primats. Ceux-ci après Orezza se sont séparés « avec froideur » et retirés dans leur zone d’influence respective.

La situation est donc bloquée et des négociations sont ouvertes avec le gouverneur génois, Rivarola. Le 21 mars 1736 une Consulta est convoquée à saint-Antone de Casabianca pour délibérer de la paix. La guerre de Corse semble terminée.

 

LE CONTEXTE DE L’ARRIVEE DE THEODORE EN CORSE.

C’est dans ce contexte de découragement que va survenir une surprenante nouvelle.

Le 12 mars sur la plage d’Aleria accoste un navire battant pavillon anglais, sur lequel se trouverait un important personnage, semble-t-il noble étranger. Ce haut personnage vient pour se mettre à la tête du royaume, avec d’importants secours et soutiens extérieurs. Dans ses mémoires Sébastianu Costa (5), témoin de premier plan de cette période, rapporte l’événement en ces termes.

« Les messagers courraient de pieve en pieve (…) La renommée grossissait les choses et les peuples oubliant traités et génois ne se tenaient plus de joie (…) Les corses se mirent en état de secouer le joug de Gênes, et gloire peu ordinaire, de se donner un roi… »

Ainsi s’ouvrait, pour un laps de temps qui allait se révéler court, ce que certains appelèrent « l’intermède théodorien ».

« Moment de rencontre de la Corse avec un aventurier qui n’est point une figure isolée dans ce XVIII européen où évoluèrent des personnages tels (6) notamment Casanova et Cagliostro.

Mais quel que soit le jugement que l’on porte à l’homme et à son entreprise, fortement controversé l’un et l’autre, il s’agit d’un extraordinaire retournement de situation qui rencontra l’engouement, au moins passager, des populations voire de leurs chefs comme le montre le témoignage de Costa.

 

1° Un personnage controversé

Le 12 mars donc Théodore de Neuhoff avait débarqué à Aléria et distribué aux populations accourues ce dont elles avaient le plus besoin : des fusils, des munitions, des canons (en petit nombre), des souliers à la mode ottomane (7).

Après quelques entretiens à Matra avec les chefs corses, il fut convenu que le futur roi s’installerait à Cervioni, dans le palais épiscopal rejoint deux jours après son arrivée dans l’île. Le 15 avril il est élu au couvent d’Alésani roi de Corse sous le nom de Théodore premier. Huit mois plus tard celui que l’on a appelé « le rois d’un été » s’embarque à Solinzara abandonnant son royaume, refermant ainsi cette curiosité historique.

Le baron de Neuhoff était authentiquement de vieille noblesse allemande mais sans la moindre fortune ; Le fief de Neuhoff se trouve dans le comité de La Mark en Westphalie.

Il est né à Cologne en 1694. A 15 ans il entre comme page de la duchesse d’Orléans mère du régent (avec laquelle il aurait quelques démêlés). Quand il eut l’âge, l’électeur de Bavière lui confia le commandement d’une compagnie. Mais il ne resta pas longtemps dans cet office. Il alla à Paris chez sa sœur et entama une vie errante à la dimension de l’Europe, dont il est bien difficile de suivre les différentes péripéties.

En lisant son biographe, André Le Glay (8) on se perd en rebondissements de toutes sortes où se mêlent intrigues de cours, affaires commerciales, d’argent et escroquerie de tout genre. Mais les documents historiques divers convergent en ce sens pour éclairer la vie de « notre roi ». Ce qui ne signifie pas pour autant que ce dernier ait manqué de volonté. Il a, très probablement, répondu en Corse aux circonstances du moment.

Qu’il est approché, au gré de ses pérégrinations européennes, avant et après les passages en Corse, des personnages importants, des grands des royaumes là encore les documents historiques en témoignent.

Il fut au service du Premier ministre du roi de Suède, Charles XII. Chargés de mission par celui-ci à la cour d’Espagne de 1716 à 1719). Pris femme dans cette même cour parmi les demoiselles d’honneur anglaises de la Reine. Devint le protégé du nouveau premier ministre Ripperda ; Côtoya dans le courant de l’année 1720 le banquier John Law (contrôleur général des finances) et comme beaucoup d’autres se trouva entraîné dans la banqueroute du système « papier monnaie » en décembre 1720. Il fut amené dans ses périples à rencontrer d’autres régnant comme François de Lorraine sur la tête duquel reposait la couronne grand ducale de Toscane et qui s’intéressa un temps à la Corse avant de devenir empereur d’Autriche. Et cette liste n’est pas exhaustive. 2°- Instrument d’une diplomatie interlope.

C’est la raison pour laquelle colle au personnage des réputations interlopes ; « Il est, selon Le Glay, l’homme des antichambres et des cabinets secrets et non des champs de bataille ».

Plus précis encore à la fin de son ouvrage il le présente comme « Le jouet des puissances européennes qui sans jamais assumer publiquement leur intention se servirent de lui en espérant qu’il réussisse dans les entreprises, mais refusant en termes diplomatiques de reconnaître leur implication à chacun de ses échecs ». Ce sont ces puissances qui ressuscitèrent à plusieurs reprises Théodore en le forçant « à jouer son rôle de roi (…) pour avoir son pain quotidien ». Cette dureté de jugement fait du baron selon l’expression employée par Robiquet « un courtier marron de la diplomatie européenne », sorte d’espion des coups tordus.

Dès son débarquement en Corse les chancelleries méfiantes les unes des autres d’une entreprise qui pourrait bousculer l’équilibre des forces en méditerranée établissent rapports sur rapports. A  l’unanimité ils dressent un portrait d’un aventurier peu scrupuleux. Force est de reconnaître que l’approche du roi des corses en est fortement empreinte.

La question qui les inquiète est de savoir quelle puissance a bien pu armer la main du baron westphalien. Espagne, Angleterre, Autriche etc… ? Son voyage a été préparé à Tunis avec la complicité, au moins passive selon certains historiens, du Consul anglais, du Bey de Tunis et par voie de conséquence de la Sublime Porte.

Au moment où vient de se négocier un nouvel équilibre en Europe, seule une diplomatie souterraine pouvait agir ; mais la description faite, et largement acceptée, corrobore cette possibilité. Le baron ne disposant d’aucune fortune personnelle il fallait bien qu’il trouva l’argent nécessaire à l’achat des armes des munitions et à l’affrètement du navire.

Comment des prêteurs (banquiers juifs/grecs en Tunisie) ont pu y consentir, alors même que sa réputation était faite ? Mystère.

 

2°- ...Qui arrange momentanément les chefs insulaires

Demeure une autre interrogation. L’arrivée de Théodore est-elle un miracle du ciel ? Ou bien le résultat de négociations avec les chefs corses.

Les mémoires de Sébastien donnent peu d’informations. Le Glay est catégorique. Selon lui Théodore aurait été en contact avec Giafferi, Costa et quelque autres. Il revendiqua auprès d’eux un rôle important dans leur libération ; Leur dit l’intérêt qu’il portait aux malheurs de la Corse dans sa lutte contre Gênes ; Leur venta les appuis dont il pouvait bénéficier auprès de certaines cours européennes.

Appuyé sur des documents de « l’Archivo di Stato », Ambroggio Rossi suggère que les corses de Livourne en contact avec le baron en 1732-1733 aient pu proposer la solution théodorienne aux chefs insulaires, qui lucides répondirent :

« Ou bien ce Monsieur est bien tel qu’il se dit et alors le royaume est sauvé ; ou bien il ne l’est pas et alors sans injustice nous pourrons le déposer et le renvoyer (9) ». Jean-Baptiste NICOLAI, quant à lui, affirme que le baron fut en contact avec Orticoni lorsque celui-ci accomplit ses missions diplomatiques en Espagne (10).

Selon Pascal Marchetti (11) le second soulèvement « avait mis à mal l’unité de la Nation ». Seule une personnalité qui ne fut de nulle part en Corse, dans cette période où le parti génois avait reconquis du terrain, « aurait rallier le peuple et passer au-dessus des potentats locaux ». De plus aucun d’entre eux ne pouvait du surcroît  prétendre seul à la dignité royale.

Depuis dix-sept ans les corses sont en guerre et même les difficultés du moment ne peuvent les transformer « en moutons naïfs ». La solution théodorienne, dans les circonstances du moment, fournit un remède à essayer, dans une situation désespérée avec toutes les précautions utiles à l’égard du futur roi.

En outre l’aide extérieure espérée restait un mythe. Les Corses pesèrent sans doute, et l’on retrouvera cet argument dans le discours que prononcera Hyacinthe Paoli, qu’il fallait accomplir un acte d’éclat pour intéresser à leur sort les cours européennes.

L’instauration de la monarchie dans l’île en était un et le peuple ne pouvait d’ailleurs n’y voir qu’un acte de promotion. Les principaux pays européens n’étaient-ils point monarchiques ?

Enfin cette monarchie avait aussi un second sens, peut être encore plus important et c’est sans doute ce dernier qui engendra l’ire des génois. Elle signifiait clairement l’indépendance de la Corse.

On peut donc conclure avec Fernand Ettori que lorsque les corses avaient convoqué, le 21 mars 1736 une Conculta à Saint Antione de Casabianca, ils avaient en réalité deux fers au feu : soit négocier avec Gênes la paix ; soit provoquer avec Théodore un électrochoc.

Mais laissons de côté les hommes et les circonstances qui les animent, pour nous intéresser maintenant au « Pacte » conclu, sous les auspices le l’Immaculée Conception et du Peuple, entre le Baron, libre de Neuhoff et les « Principali » de la rébellion corse.

 

LES CAPITOLI D’ALESANI FONDENT UN REGIME « CONVENZIONATO »

Qu’elles aient débuté en 1732-33, où à l’arrivée de Théodore en Corse, l’ensemble des documents historiques témoignage de négociations menées entre le futur roi et les « primats » del Regno. Dès son arrivée, Théodore envoie une lettre à Giafferi (Le Glay est catégorique sur le destinataire) afin de lui faire des offres de services sous réserve qu’il soit choisi « comme roi ».

A partir de ce moment une décision doit être prise. Les Corses doivent ils se donner un roi ? La réponse sera positive et se concrétisera par la rédaction, par Sébastianu Costa, des conditions de l’élévation de Théodore à la royauté de Corse.

Le document reproduit dans les mémoires de Costa porte la qualification de « constitution » d’Alesani du 15 avril 1736.

S’agit-il d’une Constitution dans le sens où nous l’avons défini en introduction ?
La réponse doit être nuancée.

Il semble envisageable de répondre par l’affirmative quant au processus qui s’enclenchera à partir de l’arrivée de Théodore jusqu’à l’approbation du texte par le peuple et son élection, par acclamation à Alesani, le 15 avril.

Ce processus est marqué par une négociation en plusieurs phases qui souligne le caractère « démocratique » de la désignation (1°).

En revanche le contenu se rapproche plus de l’acte notarié, contrat synallagmatique conclu entre deux parties : « Il Regno di Corsica » et « Il Sig. Teodoro baron libero di Neoff » (2°).

 

1°- Une contractualisation en trois temps

A partir du 12 mars, s’ouvre une période de négociations entre les chefs corses et Théodore. Elle va se clore à Alesani le 15 avril. Juste un mois pour trouver une entente c’est en définitive peu. Cette brièveté vient accréditer l’idée que des contacts au moins exploratoires avaient été noués avant l’arrivée de Théodore en Corse.

On peut découper ce mois de négociations en trois phases. L’élection de Théodore au règne de Corse fut décidée à Matra, négociée à Cervioni « actée », selon l’expressions usitée par les juristes, à Alesani. Ces phases illustrent ce que les constitutionnalistes nomment « la mise en œuvre du pouvoir constituant originaire ».

La première s’ouvre avec la lettre qu’adresse le baron à Giafferi. Celui-ci convoquera séance tenante une assemblée des chefs à Matra. Celle-ci se voit confrontée à la proposition de le choisir comme roi. Théodore est humble dans l’exposé de ses « exigences ». une seule condition, sur laquelle il aura l’occasion de revenir est formulée comme ne devant faire l’objet d’aucune discussion. Celle de « modifier une loi (…) c’est à dire d’accorder la liberté de conscience aux hommes des autres nationalités et d’autres croyances qui pourraient venir ici pour nous assister dans nos entreprises ». Cette prise de position en terre vaticane, témoignage d’un esprit libéral. Certains historiens pensent que cette disposition constituait la condition sine que non des puissances étrangères ou de groupes commerciaux et/ou financiers (12) pour soutenir l’entreprise du westphalien. Selon Le Glay elle constitue « le mandat impératif auquel ses bailleurs de fonds l’avaient contraint. Neuhoff seul n’eût pas songé en arrivant en Corse, à faire ce Edit de Nantes (13). N’oublions pas que nous sommes au siècle des lumières et qu’elle constitue une revendication permanente des philosophes qui l’irriguent. En outre certains historiens (14) affirment que le Baron appartient à des obédiences maçonniques. Cette demande trouve là explication et dans le même temps rattache celui qui la formule à la chaîne des groupes philosophiques qui travaillent le siècle. Mais elle n’apparaîtra pas dans les « capitoli » d’Alesani. Elle n’était nullement formulée pour protéger la minorité grecque de Paomia dont les biens allaient être confisqués en tant qu’alliés de Gênes par les Capitoli d’Alesani. Le sentiment largement partagé est que se présentait là une occasion inespérée qu’il fallait saisir. Seul Hyacinthe Paoli émit une opinion discordante dans « ce torrent du consentement universel ». Il ne se départira point de cette attitude de méfiance à l’encontre de Théodore, même si quelques jours plus tard il allait vanter les mérites du régime monarchique. Il prétextera qu’il : « n’aimait point cette liberté de conscience ». Cette opposition avait jeté un certain trouble dans l’Assemblée. Elle fut cependant levée, après la consultation du chanoine Albertini « parfait théologien ». Il assura que cette réclamation était parfaitement conforme aux pratiques papales et que par ailleurs il fallait accepter le personnage « car il était envoyé par le ciel pour que la Corse ne périt pas dans la détresse (…) La main de Dieu était visible dans cet événement. Il fallait considérer cette arrivée comme un miracle ». Qui pouvait s’opposer à une manifestation du ciel ? La voix de l’opposant fut étouffée et les chefs décidèrent d’aller porter leur décision au baron allemand.

A partir de là s’ouvre une deuxième phase : celle de la fixation des règles qui régiront le contrat passé. De Matra, furent envoyées des circulaires dans toute l’île le 7 avril convoquant sous huitaine une « Consulta » et le peuple à Alesani. Ainsi les chefs corses respectaient une tradition fortement ancrée. A chaque décision importante des représentants de l’ensemble des pieves se rassemblaient afin de formuler un avis majoritaire. Il s’agit, comme le souligne Dorothy Carrington (15), d’une « institution coutumière » qui survécut aux différentes invasions comme un « embryon de démocratie indestructible ». Pendant la révolution elles furent très nombreuses. Rostini (16) en dénombre 70 pendant les 26 premières années jusqu’en 1755 où Paoli transformera « la Consulta » en Parlement national. L’Assemblée se réunit à partir du vendredi 13. Paoli fut le premier à prendre la parole, s’exprimant aussi au nom de Giafferi. Son retournement est ici flagrant car dans son exposé il vante les mérites qu’aurait la Corse à se transformer en monarchie : « Là où il n’y a pas de chef unique, des jugements duquel dépendent récompenses et châtiments, et qui répartisse les travaux et les charges, l’on ne trouvera jamais de gouvernements bon et stable. Certains louent la république (…) mais les plus sensés proposent la monarchie comme meilleur gouvernement. Heureux les peuples qui ne connaissent qu’un seul chef, capable de redresser et de contenir ses sujets ! Le sceptre et le pouvoir donné à un seul, font le bonheur et la félicité des nations » (17)

Arrighi intervint à son tour pour soutenir les propos de Paoli et insister sur l’intérêt à élire Théodore « ses dons magnifiques, les secours promis me poussent à donner un prompt assentiment à son élection glorieuse et suprême utile à la d’élire à la patrie (…) Il nous est donc utile d’élire et d’accepter pour roi un homme qui puisses grâce à des appuis extérieures, rendre féconds nos efforts pour dominer et vaincre Gênes » (18). Cependant avant de procéder à l’élection il rappela que des négociations étaient menées avec l’Espagne depuis quelques années et qu’il convenait donc de mettre à l’abri ceux qui s’étaient chargés de ces démarches. Cette objection à une élection rapide fut écartée par Sébastien Ceccaldi, frère d’André qui avait été envoyé en émissaire : « si vous n’avez pas (…) d’autre motif pour empêcher l’élection du mouveau roi, vous pouvez tout de suite vous départir de votre sentiment » et de conclure « pour ma part, je suis d’avis qu’il faut faire l’éléction » (19). L’incident était clos. Paoli suggéra que soient précisées les conditions du « contrat qui doit nous lier à M. le Baron ». Le terme est important et souligne les conditions mises par la Consulta à l’élection de Théodore. Pour insister sur cette particularité Fernand Ettori indique « il du accepter une convention qui définit les rapports entre le souverain et la nation établissant ce regno convazionato vainement réclamé aux génois » (20). Les généraux demandèrent à Sébastianu Costa de rédiger un mémoire sur ce qui convenait au royaume. Il s’acquitta de sa mission le même jour en rédigeant deux copies l’une destinée aux généraux, l’autre pour Théodore afin qu’il donne son avis. Le lendemain, 14 avril, le texte fut présenté au futur roi. Celui-ci ne fit qu’une remarque relative à l’exercice de ses pouvoirs régaliens. Il proposa que l’on ajoute que toute l’autorité royale était conférée au roi, avec les prérogatives inhérentes sans pour autant porter atteinte aux conventions. Cette remarque ne souleva point d’objection de la part des généraux et fut traduite dans le texte. Entre temps les représentants de la Balagne, avec à leur tête Fabiani, avaient rejoint Alesani (il semblerait que se soit le 15 au matin). Comme ils n’avaient point participé aux délibérations on le consulta, ainsi que deux de ses compagnons « docteurs en jurisprudence » en prenant soin de leur préciser que rine de définitif n’avait été entrepris. Ceux-ci ne firent aucune remarque. L’accord était donc « acté », il restait à le présenter au peuple et à couronner Théodore ce qui fut fait le jour même.

Le peuple s’assembla sur la place du couvent d’Alesani en compagnie des notables et des généraux. Un trône avait été dressé entouré d’une chaise de chaque côté. Théodore s’y installa en compagnie de Paoli et de Giafferi. Paoli dans un lyrique, véritable éthique de gouvernement, présenta à l’Assemblée à la fois celui qui allait devenir Roi et l’intérêt du nouveau régime en développant son contenu. Le docteur Gaffory reçut la mission de lire « capitoli » au peuple. Après quoi les différentes prestations de serment du peuple, du roi, des généraux et des notables furent faites. Et comme le ciel avait été invoqué, il restait à recevoir sa bénédiction pour cette « ère » que l’on voulait nouvelle et prometteuse. L’assemblée et son Roi renouvelèrent sur les évangiles, en présence du Saint Sacrement, le serment d’observer les capitulations. La cérémonie se termina par un « TE DEUM ».

Ainsi la Corse venait de se donner un roi « Cristallisation passagère de rêves et d’aspirations, son règne éphémère, selon Francis Pomponi, est à la fois révélateur des visées des notables et de la pensée magique des humbles » (21). En fait cette « étrange et solennelle journée, où le peuple et ses généraux ont participé à la création d’une majesté » (22) fournit une illustration de la Théorie du Doyen Maurice Hauriou. Même s’il paraît présomptueux de qualifier en raison de son contenu le texte d’Alesani de Constitution, en revanche on peut affirmer le caractère négocié et démocratique de son élaboration avec la participation active du peuple ou du moins de ses représentants. Il s’agit d’un moment de démocratie directe, ni meilleur ni pire, comparable pour ceux que connaissent certains cantons helvétiques. En « Gladis » et « Appenzel », le peuple s’assemble une fois l’an pour manifester sa confiance aux gouvernements et faire œuvre législative. Le 15 avril le peuple malgré la place prise par ses représentants à fait œuvre « constituante » en acclamant les « 16 capitoli » rédigés par Sébastien Costa et celui qui était chargé de les mettre en œuvre.

 

2°- Une « primitive constitution » instaurant une monarchie limitée

Durant la première période de la révolution corse, les insurgés ont fait preuve d’un esprit audacieux et créatif dans leurs tentatives d’organisation politique. Ce « génie corse » pour reprendre une expression de Lady Rose s’est concrétisée par une série de systèmes politiques réglementés par ce qu’elle nomme « primitive constitution ».

Assurément l’intermède Téodorien fournit un exemple de ce concept. Les 16 articles approuvés et le préambule qui les précède instaurent une monarchie conventionnelle limitée « Regno convenzionato », pour reprendre l’expression que l’on doit à Fernand Ettori.

Si j’osais une comparaison, je dirais qu’à un siècle d’intervalle, ce « conventionnement » ressemble étrangement à la Charte de 1830 par laquelle les représentants du peuple français appelèrent à la dignité royale Louis-Philippe d’Orléans, Philippe Egalité. Contrairement à celle de 1814, ce n’est point le roi qui octroya à son bon peuple les règles de fonctionnement du Royaume, mais c’est le peuple, par l’intermédiaire de ses représentants, qui précisa au souverain les conditions d’accession au trône et par conséquent les règles de fonctionnement d’une monarchie encadrée.

Du texte d’Alesani nous possédons deux versions : celle en 16 « articles », annexée aux « Mémoires » de Costa, conservée à « l’Archivio di Stato » de Turin (23) ; Une version abrégée parfois reproduite dans certains manuels d’histoire de la Corse.

Le texte long peut se décomposer en trois parties :
-   un préambule ;
-   des dispositions sommaires relatives aux institutions et à leurs pouvoirs ;
-   quelques principes visant la position du royaume vis à vis de Gênes.

Le Préambule d’une vingtaine de ligne, rappelle que le royaume de Corse est placé sous la protection de l’Immaculée conception, de la Sainte trinité et de sainte Dévote. Il mentionne ensuite la procédure suivie pour l’adoption du texte, souligne qu’elle est le résultat de réflexions longues et approfondies avec la participation des « Principali » et du peuple. Que les principes qu’il contient ont été acceptés par le baron et qu’ils définissent ainsi une base contractuelle.

Les dispositions définissant les institutions et précisant leurs pouvoirs respectifs. Deux institutions seulement sont mentionnées par le texte d’Alesani : il s’agit d’une part du Roi, d’autre part de la Diete.

Le texte instaure une monarchie héréditaire et les « capitoli » 1,2,3 en précisent les conditions. La succession au titre de roi se fera par les descendants mâles par voie de primogéniture. Cependant, par défaut, les filles pourront accéder à la couronne. En l’absence de descendants en ligne directe, le Roi pourra désigner un successeur dans sa proche famille.

Les appelés aux fonctions royales devront remplir deux conditions : être de religion catholique romaine et résider en permanence dans le royaume. Enfin en cas d’extinction de la lignée du roi ou celle de son successeur, la Corse restera pleinement libre d’élire un autre roi ou de se gouverner en République. Cette disposition contenue dans le « capitoli » 3 est intéressante puisqu’elle autorise un changement de régime politique en douceur. Cette évolution résultera de la décision souveraine « des peuples (qui éliront leur roi) selon leur choix, ou vivre librement ou comme mieux leur plaira ».

A la qualité royale revient l’exercice des compétences régaliennes. On a déjà mentionné que sur ce point le texte initial avait fait l’objet d’une remarque de Théodore. Ces pouvoirs régaliens se déploient dans deux directions.

Le droit de battre monnaie ce que fit effectivement Théodore en créant la « zecca » et les tristement fameuses pièces « Théodorus Rex ». les difficultés du royaume font qu’elles ne furent jamais acceptées et fournissent une occasion supplémentaire aux railleries génoises « Tutto Ramo », Tutti Ribelli » (Tout cuivre, Tous rebelles).

Le droit de lever des armées et de les conduire. Mais dans ce secteur, les pouvoirs royaux sont étroitement contrôlés par la Diete. Celle-ci reconnaît au roi, en temps de guerre, la capacité de recruter jusqu’à 1.200 hommes de troupes étrangères. Au-delà, le monarque devra obtenir l’assentiment de la Diète. La volonté de Théodore d’organiser l’armée se manifestera dès son arrivée à Cervioni et donc avant même son élévation à la dignité royale.

En revanche le texte d’Alesani est silencieux sur une des fonctions régaliennes fondamentales : l’exercice de la justice royale. Pourtant dans ce secteur, qui pollue la vie de la Corse, l’éphémère règne fit preuve de détermination. Les historiens rapportent dans ce domaine l’attitude inflexible du roi notamment dans le cas de la trahison d’un certain Luccioni qui vendit la soumission de Porto Vecchio aux génois pour quelques « sequin ». Ce silence s’explique, peut être, par la duplicité des « principali » qui ne voulaient certainement pas endosser la responsabilité de la rigueur et l’impopularité des jugements royaux.

Enfin on peut rattacher à l’institution monarchique le « capitoli » 16 qui crée un ordre de noblesse, celui de la délivrance qui sera instauré à la fin de l’été 1736. les chevaliers à leur réception devaient jurer fidélité au roi qui était leur « Grand Maître », payer un droit d’entrée » de 1.000 lires et appartenir à une famille n’ayant exercé aucun métier et ce en remontant jusqu’à  la quatrième génération. En temps de guerre ces chevaliers formaient la garde royale.

Quant à la DIETE, elles est instaurée par le « capitoli » N°5. Elle est composée de vingt-quatre membres élus parmi les  sujets « les plus qualifiés et les plus méritants ». Seize pour les régions de l’En deçà, huit pour celles de l’Au-delà. Mais le texte ne précise pas les modalités de l’élection de ses membres. Il s’agit, semble-t-il, d’une tentative de codification de l’institution coutumière des consulte qui échouera en raison du caractère éphémère du règne. Une commission permanente, issue de la Diète, composée de trois membres (2 pour l’En deçà, 1 pour l’Au-delà est créée. Elle doit résider en permanence auprès du Roi pour le conseiller en toutes circonstances.

Les pouvoirs de la Diète sont précisés par le « capitoli » N°6. Ils s’exercent essentiellement dans trois secteurs.

En limitant, tout d’abord, les pouvoirs régaliens qui se déploient dans les domaines de la guerre, des armées et dans celui de la levée et la fixation des impôts. Ceux-ci sont d’ailleurs mentionnés aux articles 13 et 14. Les dispositions qu’ils contiennent règlent impôts, taille et gabelle (trois lires par feu) dont les veuves et les orphelins de 14 ans sont exemptés. Ils fixent aussi le prix du sel et réglementent le système des poids et mesures. Le même article 6 donne des pouvoirs à la diète pour fixer les conditions d’exercice du commerce. Le capitoli 11 mentionne la liberté de commerce, de circulation des marchandises appartenant à des nationaux dans l’île et entre celle-ci et la « Terra ferma ». Les dispositions énoncées par le texte d’Alesani, comme on peut le constater sont libérales et satisfont des revendications anciennes. Libertés de commerce, de circulation et de conscience sont les marques des courants de pensée physiocratique et encyclopédiste.

Reste l’objectif de formation des élites. Il est mentionné par l’article 15 qui attribue conjointement au Roi et à la Diète pouvoir pour créer une Université des Sciences et Arts. Ensemble ils en fixeront les modalités de fonctionnement et le Roi devra assurer à cette institution les revenus suffisants pour subsister et lui accorder les mêmes privilèges dont bénéficient les autres universités publiques de l’époque. Il s’agit là de la « juridictionnalisation » d’une vieille revendication des insulaires, qui, comme nous le savons, trouvera sa concrétisation sous le « généralat » de Pascal Paoli. Mais, là encore le temps manqua pour la mise en œuvre qui resta lettre morte.

Ainsi l’autorité de la Diète s’étendait à toutes les branches de l’activité gouvernementale et administrative. Et comme le mentionne le « capitoli » 7, seuls les Corses, à l’exclusion de tout étranger, pouvaient prétendre aux charges et dignités du royaume.

En définitive, le roi ne peut pas faire grand chose sans le consentement de la Diète. Ses pouvoirs régaliens sont largement entamés et la formulation de l’article 4 représente plus une pétition de principe qu’une possibilité juridique. Ces précautions furent introduites pour éviter, sans doute, que d’héréditaire la monarchie ne devienne absolu. Elles illustrent un des principes fondamentaux de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke en 1690 et complétée par Montesquieu en 1748 : l’enchaînement des différents pouvoirs pour éviter toute concentration et pour les forcer à collaborer.

Enfin le texte d’Alesani dans deux de ses articles (10 et 12) contient des dispositions à l’encontre des Génois. Le premier prononce leur expulsion et l’interdiction pour aucun d’entre eux de résider ou de pénétrer dans le royaume ; Le second confisque la totalité des biens des nationaux génois et de leurs alliés, déclarés « rebelli della patia del regno » et notamment les grecs de la colonie de Paomia. Les circonstances ont présidé à la rédaction de ces dispositions.

Les Constitutions, comme les lois ne valent que par ceux qui les appliquent. En ce qui concerne « celle » d’Alesani, le temps a manqué pour permettre que se forme un jugement sur son efficacité. Les circonstances et la brièveté du règne de Théodore l’on renvoyée au second plan. Elle ne fut en définitive jamais appliquée.

Après l’échec de l’expédition de Balagne, juin-juillet 1736, les difficultés vont s’accroître. En septembre, le Roi part pour Sartene. De là, ne voyant poindre aucun des secours escomptés, il instaure le 4 novembre un conseil de régence composé de trois membres : Paoli, Giafferi et d’Ornano afin d’aller plaider la cause de la Corse lui-même. Il remet ainsi les destinées du royaume à ceux qui avaient permis son élévation royale.

Il s’embarque le 11 novembre à Solinzara pour Livourne, accompagné notamment de Costa. Son règne était terminé. Il n’aura duré que sept mois.

Oublie-t-il pour autant la Corse ? Pas complètement. Il fera deux tentatives de retour. La première le 16 septembre 1738 avec l’aide de compagnies commerciales hollandaises ; La seconde début 1743 sous escorte d’une flottille anglaise de dix navires. Mais les circonstances avaient changé et ni l’une ni l’autre ne furent couronnées de succès.

Pour la première alors qu’il semble encore bénéficier d’une certaine aura et alors que les trois navires affrétés, selon Le Glay, transportent une cargaison d’armes et de munitions évaluées à 400.000 florins, un différent, l’opposera au capitaine de l’expédition. Celui-ci défendant les intérêts des armateurs avait l’ordre d’échanger la cargaison contre des produits locaux. Rien ne vint et l’escadre se dérouta sur Naples où Théodore fut mis aux arrêts.

Quant à la seconde, le nombre des bateaux qui participent à l’expédition accrédite l’idée « qu’enfin » une grande puissance européenne s’apprêtait à aider le « roi de Corse », cette fois-ci c’est le refus de la population de Balagne qui écourta la tentative. La flotte anglaise mis le cap sur Livourne. Le discrédit de Théodore fut alors total et définitif. Expulsé de Toscane la même année, il erra de pays en pays. Il échouera en Angleterre en 1749 où il fut emprisonné pour dettes, cédera son royaume à ses créanciers le 24 juin 1755. Libéré de la prison « le banc du roi » le 5 décembre 1756, il décède dans le dénuement le plus total le 15 suivant.

En guise d’Epitaphe, l’homme politique anglais Walpole, qui l’avait connu, fera marquer sur sa tombe :

« Le destin répandit ses leçons sur sa tête vivante,
Il lui accorda un royaume et lui refusa du pain ».

En définitive, s’il ne faut pas majorer l’épisode du « roi Théodore », il ne convient pas non plus de le réduire à une simple comédie, comme le fit Voltaire dans son Candide en 1759. Il y ridiculisera le Wesphalien, le présentant recevant l’aumône de quelques monarques européens déchus.

Après tout, les corses auront, durant leur « révolution » expérimenté toutes sortes de gouvernement avec pour unique objectif de desserrer l’étreinte de la domination étrangère.

Nous sommes, en vérité, en présence d’un paradoxe. Si le personnage est, à la quasi-unanimité des témoignages, largement décrié, le jugement porté sur le régime instauré par le texte d’Alesani est en revanche positif. Trois raisons peuvent être avancées.

· La première parce que les contemporains analysent la « convention » comme un modèle bon et sage (Marquis d’Argens ; Lettre juive 1738). Les corses ont su mettre un « frein à l’autorité monarchique » en précisant les bornes par son origine conventionnelle. Théodore porté à la royauté par le peuple dispose de beaucoup de pouvoir pour faire le bien, mais peu pour faire le mal. Il s’agit d’un régime porté à la modération car la volonté royale est enchaînée comme nous l’avons précisé. Même si ce n’était pas de son fait, il n’avait pas les moyens de s’y opposer.

· La deuxième parce que tout aventurier qu’il fut, il ne manquait ni de culture intellectuelle, ni de volonté. Il fut, selon Paul ARRIGHI, un monarque éclairé, animé par un réel idéal : Un homme de son siècle. La liberté de conscience et la promotion d’une justice pour lutter contre la « vendetta » en portent témoignage. On en peut donc réduire sa tentative à une simple distribution de charges aux titres superlatifs.

· La troisième parce que, et là les témoignages sont unanimes, Théodore a bénéficié de l’adhésion du peuple. Pour Pierre ANTONETTI «  il semble avoir été aux yeux des simples, le symbole d’une indépendance nationale ». Sa monarchie proclamait, pour la première fois sans équivoque, l’indépendance de la Corse et les puissances étrangères ne s’y trompèrent pas.

Cependant, il en fut de cette « constitution », comme beaucoup d’autres choses. Au milieu des émotions, dans une période troublée, elle fut vite oubliée et sombra dans les événements. L’expérience théodorienne est venue se fracasser sur trois récifs.

Celui, d’abord, du personnage romanesque qui, sans doute, n’avait pas apprécié à leur juste dimension les difficultés de l’entreprise ;

Celui, ensuite, des promesses faites, et non tenues, d’une aide extérieure qui émoussa les meilleures volontés ;

Celui, enfin, mis en exergue par Fernand Ettori « d’une structure sociale hostile à toute forme d’Etat, qui représentait avec vigueur une conception prématurée de la souveraineté étatique ». Car, en définitive, si le peuple l’accepta, les notables se défièrent de lui (les réticences de Paoli) et formèrent autour de Paoli et Giafferi, selon le jugement de Robiquet (24), « le parti des indifférents ».

Les circonstances avaient fourni provisoirement, la solution théodorienne. Celle-ci se révélant inféconde, il fallait la dissiper et, semble-t-il, les Généraux, ceux que la Consulta de 1735 avait qualifié de « Primats Altesses royales » s’en chargèrent.

Qui se joua de qui ?

 

NOTES

1. « La révolution corse » 1729-1769 », conférence faite à Cervioni le 1er avril 1989, ADECEC-1989.

2. Charles CADOUX « Droit constitutionnel et institutions politiques », Tome I, Cujas.

3. Didier LINOTTE « Les constitutions françaises », pages 2 et 4, LITEC, 1991.

4. « Les étapes de la Libération », 1750-1796, « Soumissions et résistances », Tome 2, Le Mémorial des Corses, s/d de Francis POMPONI.

5. « Mémoires, Sébastien COSTA, 1732-1736 » Edition critique Renée LUCCIANI, Aix 1975.

6. Francis POMPONI.

7. L’importance de cet apport varie selon les sources historiques. Certaines présentent un chargement considérable d’autres à la dimension de ce qu’un aventurier de cette catégorie pouvait espérer. C’est à dire modeste.

8. « Théodore de Neuhoff, roi de Corse », Collection de Mémoires et documents historiques, Monaco 1907.

9. Rapporté par Fernand ETTORI, Mémorial des Corses, réf. Cit.

10. « L’auteur s’efforce dans un ouvrage intitulé « Vive le roi des corses » de réhabiliter Théodore. Editions Cyrnos Méditerranée, Ajaccio, décembre 1981.

11. « Une mémoire pour la Corse », p 26, Flammarion.

12. Dorothy Carrington fait état de travaux anglais qui indiquent que Théodore fut soutenu par des groupes révolutionnaire anti-monarchiques en Hollande.

13. Le Glay, ref. cit.

14. Jean-Baptiste NICOLAI présente plusieurs hypothèses qui ne s’excluent nécessairement : Chevalier de l’ordre teutonique, Rose-croix, franc-maçon… Ces appartenances éclairent d’une autre lumière la décision qu’il prit de créer l’ordre de chevalerie appelé « ordre de la délivrance ». cf. « Vive le roi des corses », pp 32-44 réf. cit.

15. réf. cit.

16. « Osservazine storiche sopra la Corsica », rédigées de 1778-1820.

17. « Mémoires, 1732-1736 », Sébastien Costa, éd. Critique, traduction et notes par Rénée Lucciani, Imp. La Mulatière, Aix 1975, volume II.

18. ibidem.

19. ibidem.

20. « Mémorial des Corses », ref. Cit.

21. « Histoire de la Corse », Hachette, 1979.

22. « Mémoire de Rostini », BSSHNC, vol. II, fasc.16, 1882.

23. Une traduction française est fournie dans l’ouvrage de Jean-Baptiste NICOLAI, réf. cit.

24. « Recherches historiques et statistiques sur la Corse », Paris, 1835, Librairie Benelli, 1983.

 

 

CAPITOLI CONVENUTI TRA IL REGNO DI CORSICA
ED IL SIG. TEODORO BARON LIBERO DI NEOFF CIRCA L’ELEZIONE
DEL MEDESMO FATTA IN SUO SOVRANO

In nome e gloria sia della Sma Trinità Padre Figlio e Spirito Santo, e della Vergine Immacolata Prottetrice di questo Regno, e di Sta Devota Avvocata del medesmo. Oggi giorno di Domenica 15 del giorno di aprile dell’Anno 1736. Essendosi convenuto il regno di Corsica in una generale consulta stata legitimamente intimata d’ordine dell’Eccmo Generale De Pauli, e Dr Luigi Giaferri nel Luogo di Calezzani, doppo una longa, e matura discussione fatta con li Principali Patrizj del Regno, hanno i Popoli tutti determinato, e deliberato, come determinano, e deliberano d’eleggersi un Re, e sotto d’esso vivere, e per loro Re hanno chiamato, ed accettato il Sig. Teodoro Baron Libero de Neoff, con autorità, patti, e condizioni seguenti, il quali dovranno esser accettati dal perd° Sig. Barone non sia, nè possa intendersi Re, sin a tanto che non abbia accettato il medesmi patti, e condizioni, e giurata l’osservanza, firmando di propria mano, e col proprio sigillo la presente scrittura, che si stipula per via di contratto, affincè abbia in tutto la plenaria sua opportuna stabilità, et esecuzione.

1. Dunque resta stabilito, e convenuto che il Sovrano, e Re sia prenominato Ecc Sig. Teodoro Baron Libero di Neoff, e doppo d’esso i suoi Discendenti maschj per via di Primogenitura, ed in falta di maschji le Femine sue discendenti, purchè quelli saranno ammessi alla Corona, ed al Comando siano Cattolici Romani, e risiedano sempre nel Regno, come dovrà rissiedere il S. Preffatto Barone.

2. Che in mancanza di sua successione possa il pred. Sig. Barone in sua vita nominare un Successore, di sua Parentella, o Maschio, o femina, purchè sia cattolico Romano, e rissieda nel Regno.

3. Che cessando la linea tanto mascolina come feminina, si del prefatto sig. Barone, come del Successore, che fosse nominato in tutto come sovra, rimanga in libertà il Regno, e possano i Popoli del medesmo elleggersi il suo Sovrano a loro arbitrio, e viver in libertà, e come meglio a loro piacerà.

4. Che il Re, cioè ta, to il Sig. Barone, quanto i Successori abbino, e godino di tutta l’autorità Reale, et di tutte le regalie, colla restrizzione però, ed esclusione di quanto in appresso, cioè di quanto si contiene nelli seguenti Capitoli.

5. Che a tal fine debba stablirsi, ed ellegersi una Dieta nel Regno, la quale debba esser composta di 24 Soggetti de’ più qualificati benemeriti, cioè 16 du quà da Monti, et 8 del di là da Monti, et che tre soggetti della medesma Dieta, cioè due di quà da Monti, et uno di là da Monti debbano sempre rissiedere dove serà la Corte del Sovrano, e Re, il quale potrà senza il consenso di detta Dieta prendere risoluzione alcuna, nè quanto all’imposizione di Dazj, nè quanto a Determinazioni di guerra.

6. Che l’autorità di detta Dieta sia di prendere col Re tutte quelle determinazioni che riguarderanno o in materia di guerra, o imposizioni di Dazj è Tributi, e di più abbia la stessa Dieta la facoltà di disporre Luoghi, che li pareranno più propj per l’imbarco della robba, e merci de’ Nationali, et abbia affatto la libertà d’unirsi, e congregarsi in tutte le occorrenze in luogo e luoghi che li pareranno più propj.

7. Che tutte le dignità di qualonque sorte, e le cariche, ed Uffizj del Regno debbano esser conferti a soli Nationali, ad esclusione perpetua di qualunque estraneo.

8. Che stabilito il Governo, mandati via i Genovesi, e posto in pace il Regno, tutte le Soldatesche, e Saldati debbano esser Milizie Corse ad esclusione della Guardia del Re che potrà servirsi di Corsi, e forastieri a suo arbitrio.

9. Che per il tempo presente, e fino che dura la guerra con li Genovesi possa il Re far venire, e servirsi anche de’ soldati, e milizie estranee, purchè non passino il numeri di 1200, possa però accrescersi dal Re col consenso della Dieta del Regno.

10. Che nel Regno non possa stare, nè abitare persona alcuna genovese di qualonque qualità, o stato, e che il Re non possa ad alcun Genovese permettere che stia ne Regno.

11. Che la robba, e merci de’ Nazionali da estraersi dal Regno per Terra Ferma, o da trasportirsi di luogo in luogo, o di scalo in scalo per il Regno, non siano soggetti a dazio, o Gabella alcuna.

12. Che tutti li beni de’ Genovesi, e de’ Ribelli della Patria del Regno, compresi anche i Greci, stiano, o restino confiscati, et incamerati, restando salve le raggioni di chi pretendesse diversamente, dovendo provare il contrario con documenti. Non s’intende però restino inclusi nella confisca i beni che ora godesse qualche Nazionale, tutto che pagasse Dazio alcuno alla Repubblica di Genova, o Genovesi.

13. Che il Tributto, o sia taglia annuale da pagarsi dai Corsi non debba eccedere lire tre monetta corrente per ciasched’un Capo di famiglia, e che restino abolite le mezze taglie, che solevano pagar le Vedove, e li Pupilli sino all’età d’anni 14, doppo de’ quali dovranno esser anche loro obligati come li altri.

14. Che li sale da somministrarsi dal Re ai Popoli, non possa eccedere il prezzo di due seini, cioè soldi tredici, e denari quatro moneta corrente il bacino, e che il bacino sia libre 22 del peso corrente ne Regno.

15. Che debba esigersi nel Regno, cioè in un luogi da deputarsi dal Re, e dalla Dieta del Regno una pubblica Università di Studj, tanto delle Scienze, comme d’arti Liberali, e che il Re unitamente con la Dieta del Regno debba fissare il reddito sufficiente per il mantenimento della medesma Università, sotto que’ modi, e forme, che giudicheranno più proprie, e sia obligo del Re di procurare, e far sicchè la medesma Università goda di tutti quei privileggj che godono tutte le Università dell’Europa.

16. Che dal Re si faccia subito, e constituisca nel regno un ordine di vera Nobiltà per il decoro del Regno, e Beni Nazionali.

17. Questi sono li Capitoli che il giorno 15 aprile 1736 furono fatti, e persentati dal Regno al Re, e dal medesmo furono accettati, giurati, e sottosti, e da Popoli fu proclamato, ed eletto alla Corona del Regno, prestando allo stesso il solenne giuramento di fedeltà, ed ubbidienza.